Le trauma complexe, c’est quoi ?
Prenez un instant et imaginez que la vie est un long voyage. Pour les jeunes qui, au cours de leur vie, ont pu compter sur la présence d’adultes bienveillants, chaleureux, prévisibles, sensibles et protecteurs, ce voyage se déroule sous le soleil des tropiques en formule tout inclus : la météo est généralement agréable, la nourriture est abondante et les habitants sont accueillants. Ces jeunes peuvent se permettre de voyager léger : un maillot de bain, quelques vêtements et le tour est joué ! Toutefois, pour les jeunes ayant vécu des traumas interpersonnels, le voyage peut se dérouler ailleurs, très loin dans les profondeurs de l’Arctique. Le climat est glacial, la nourriture est rare et on s’y sent isolé. Dans ces conditions extrêmes, ces jeunes portent une valise très lourde. Cette valise contient beaucoup de vêtements dont ils ont besoin pour se protéger du froid, des outils pour s’adapter à la rudesse du milieu et des armes pour se défendre contre les animaux dangereux. Je vous invite à vous poser ces questions :
| ||||||
Les capacités d’adaptation des jeunes vivant un trauma complexe sont mises à rude épreuve et ils sont souvent affublés d’une multitude d’étiquettes. Mais qu’y a-t-il sous les étiquettes utilisées pour qualifier ces jeunes ? Qu’y a-t-il sous les « pathologies » qu’ils présentent ? Qu’y a-t-il sous leurs « problèmes de comportement » ?
Le trauma complexe, c’est quoi ?
Le trauma complexe chez l’enfant et l’adolescent réfère à une double réalité, soit :
| ||
1. Exposition chronique ou répétée à des traumas interpersonnels
Les traumas interpersonnels se vivent au sein même des relations significatives que les jeunes entretiennent avec leur entourage. L’exposition aux traumas interpersonnels étant chronique ou répétée, les jeunes vivent dans la menace constante qu’ils se reproduisent : pour bien comprendre ce qu’ils peuvent ressentir, imaginez-les marchant toute leur vie sur un terrain miné, sachant pertinemment que des bombes finiront par éclater.
Les traumas interpersonnels impliquent une forme de trahison des figures de soins envers les jeunes. Cette trahison vient du fait que les expériences traumatiques constituent une violation de l’attente universelle selon laquelle les jeunes peuvent faire confiance aux adultes pour les protéger et répondre à leurs besoins, alors que ce sont ces mêmes adultes qui leur causent du tort (Ford et Courtois, 2013). Les traumas peuvent également prendre place dans un contexte de contrôle et de domination (Ford et Courtois, 2020). | LES TRAUMAS INTERPERSONNELS IMPLIQUENT UNE FORME DE TRAHISON DES FIGURES DE SOINS ENVERS LES JEUNES. | ||
La fuite est difficile, voire impossible, ce qui rend les conditions plus propices à la récurrence des expériences traumatiques (Ford et Courtois, 2020). En effet, à l’opposé des adultes, les jeunes peuvent avoir de la difficulté à se tourner vers les autorités pour obtenir de l’aide, car les figures de soins qui s’en prennent à eux incarnent elles-mêmes l’autorité. De plus, les jeunes sont foncièrement loyaux envers leurs figures de soins, même si ces derniers les maltraitent. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de s’organiser pour survivre dans les conditions auxquelles ils sont confrontés (van der Kolk, 2014).
L’exposition à des traumas interpersonnels n’est pas rare. En effet, dans la population générale, il est estimé qu’au moins une personne sur trois, voire deux personnes sur trois, a vécu au moins un évènement potentiellement traumatisant au cours de l’enfance ou de l’adolescence (Afifi et al., 2014; CDC, 2021). Cette proportion peut monter jusqu’à 100 % au sein d’autres types de populations (p. ex. adolescents hébergés en centre de réadaptation; Collin- Vézina et al., 2011). De plus, les traumas interpersonnels sont rarement vécus de façon isolée. La plupart des gens qui vivent ce genre de traumas en vivent plus d’un type, et ce, à plusieurs reprises (Dong et al., 2014; Ford et Courtois, 2013). On peut donc dire que l’expérience des traumas interpersonnels est souvent une condition de vie plutôt que de simples évènements ponctuels et isolés. Il est donc pertinent de présumer que les jeunes qui sont desservis par nos organisations (p. ex. écoles, soins de santé et services sociaux, protection de la jeunesse) puissent avoir un historique de traumas et de prendre des précautions universelles visant à être sensibles à cette réalité (Hodas, 2005). | ||||||
2. Complexité des conséquences résultant de l’exposition aux traumas interpersonnels
Les traumas interpersonnels vécus de façon chronique ou répétée sont associés à des conséquences complexes chez les jeunes, c’est-à-dire des conséquences multiples et variées qui couvrent un large éventail de sphères développementales (p. ex. émotionnelle, physique, cognitive, comportementale, relationnelle; Cloitre et al., 2009; van der Kolk et al., 2009). Le portrait clinique peut donc être très différent d’un jeune à l’autre. Les conséquences, souvent sévères et persistantes, peuvent s'enchevêtrer et s’interinfluencer, ce qui peut créer un cercle vicieux où chacune des répercussions s’alimentent entre elles (Milot et al., 2018).
Comme les traumas sont vécus de façon chronique ou répétée, de puissants mécanismes d’adaptation vont être enclenchés, ayant pour fonction de protéger l’intégrité psychologique et physique des jeunes (Herman, 1992). Ces mécanismes vont conduire à de graves conséquences sur la maturation et le développement psychologique et physiologique des jeunes, pouvant même ébranler des acquis développementaux (Ford et Courtois, 2020; Herman, 1992).
LECTURE POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE TRAUMA COMPLEXE CHEZ L'ENFANT ET L'ADOLESCENT :
10 questions sur... Le trauma complexe chez l'enfant et l'adolescent; Marie-Ève Grisé Bolduc, M. Sc. 6 X 9"; ISBN 978-2-925213-05-5 |
MARIE-ÈVE GRISÉ BOLDUC Marie-Ève Grisé Bolduc, M. Sc., est détentrice d’une maîtrise en psychoéducation de l’UQTR. Auparavant intervenante en protection de la jeunesse pendant plusieurs années, Marie-Ève est présentement chargée de cours à l’UQTR et elle offre des conférences dans différents milieux, tant au Québec qu’en France. Elle est aussi assistante de recherche pour le Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et de la famille de l’UQTR et le Centre for Research on Children and Families de l’Université McGill. En 2021, Marie-Ève a reçu le Prix étudiant du Consortium canadien sur le trauma chez les enfants et les adolescents. Elle est aussi l’auteure ou la co-auteure d'articles scientifiques et chapitres de livres. Très active sur les réseaux sociaux, elle souhaite sensibiliser la population à la question du trauma complexe et des approches sensibles aux traumas. | ||||